Formatrice et coach en efficacité personnelle, mémoire et attention, Anne de Pomereu est aussi mère de famille : son dernier ouvrage, À la reconquête de l’attention, adopte une approche à la fois richement étayée et très pragmatique de ce qui est devenu l’un des enjeux centraux de l’éducation : le manque d’attention. Elle a accepté de répondre à nos questions.


PP : On parle beaucoup d’une explosion des cas de TDAH, c’est le cas ?


AdP : D’après les études que j’ai lues, il n’y en aurait pas plus qu’avant. Ce handicap touche
quatre à six pour cent de la population, le chiffre est stable. En revanche, on assiste à une
explosion de cas de jeunes dont le système attentionnel a été altéré par une mauvaise
hygiène attentionnelle. L’attention est fragile, elle se dérègle facilement si on la laisse faire
ce qu’elle veut…
Par nature l’attention est volatile, elle se laisse attirer par les plaisirs successifs, comme un
papillon. Mais sa fonction est de viser et de maintenir la connexion, comme un aigle ! La
volatilité de l’attention a son intérêt, c’est un système d’alerte. Mais il faut apprendre à la
canaliser. Les réseaux sociaux exploitent cette volatilité au détriment de la concentration.


PP : Comment les capacités d’attention s’évaluent-elles ?


Les ingénieurs de Google estiment la durée d’attention moyenne à 8 secondes… Je ne sais
pas comment ils ont fait pour l’évaluer… Ce qui est sûr, c’est que la capacité moyenne
d’attention a fortement régressé.
Notre cerveau n’a pas beaucoup évolué contrairement notre environnement. En moins de
vingt ans, l’offre de contenus a littéralement explosé, entraînant une pénurie de ce que cette information consomme. Or, ce que l’information consomme, c’est du temps de cerveau
disponible. C’est un problème d’avoir trop de choix. Choisir, c’est renoncer à quelque chose,
c’est la source du problème : on a trop de propositions et notre attention ne veut pas rater un truc. L’attention préfère ne pas avoir le choix. Dans ma jeunesse la possibilité de distraction n’était pas infinie. Il y avoir trois ou quatre chaînes de télé, on ne zappait pas tout le temps.
On est tous victimes de ce changement d’environnement. Le discours renvoyé aux enfants
est souvent très culpabilisant, alors que ce n’est pas leur faute, ni la nôtre d’ailleurs.


PP : Il faut donc imputer le manque d’attention à l’omniprésence des outils numériques ?


AdP : Les écrans donnent accès à une quantité de contenus infinie accessible sans effort.
Ils sont présents partout, tout le temps, y compris la nuit…. La génération 2000 est la
première victime de ce changement. Pour les enfants nés vers 2008, 2010, ça s’arrange un
peu : les parents se rendent compte du danger, ils sont concernés, ils mettent des règles en
place. Maintenant, il faut faire avec cette réalité-là…
D’ailleurs tous les usages numériques ne sont pas également pernicieux. Le jeu vidéo est
préférable aux réseaux sociaux, parce qu’on on y est actif, on ne fait pas que scroller. Les
réseaux sociaux sont délétères pour l’attention. Beaucoup de jeunes manquent de sommeil
à cause des écrans. Or un mauvais sommeil entraîne automatiquement un déficit de
vigilance, c’est un gros problème aujourd’hui.


PP : Alors comment faire, pratiquement, pour aider son enfant à être attentif ?

AdP : Ce que je préconise, c’est d’être très pragmatique : ne pas compter sur sa volonté et
réguler l’environnement. Il faut avancer par petits pas. On peut créer des zones blanches,
réserver certains lieux de la maison sans écran (la cuisine, la chambre), ou des temps de
déconnexion. Il faut inciter les jeunes à travailler avec un Timer, ce qui permet de garder sa
motivation. Le travail en temps limité, cela marche bien, je l’expérimente beaucoup.
Les parents doivent être flics autant que parents, ils n’ont pas le choix. Paradoxalement, en
matière d’attention, la contrainte libère. On peut le constater dans la vie monastique, qui suit une règle très contraignante écrite par St Benoît il y a 1600 ans et qui est encore d’actualité !
Cette règle est conçue pour libérer l’attention des moines et moniales dans leur fonction première qui est de prier. Vous voulez supprimer la vie religieuse ? Donnez des portables et
supprimez les règles dans les couvents !


PP : Instaurer des contraintes, ça marche tout le temps ?


AdP : Non ! Cela ne marche pas systématiquement. Rien ne remplace le désir. Comme le
disait Simone Weil, « La joie d’apprendre est aussi indispensable aux études que la
respiration aux coureurs ». Ce qui est souverain, c’est d’expérimenter le plaisir de
comprendre, d’apprendre. Quand les enfants ont découvert ce plaisir-là, que ce soit dans le
domaine artistique, sportif ou scolaire, via la lecture… s’ils ont goûté à cette attention fluide
et sans effort, mais efficace, c’est gagné. Après un gavage de TikTok ou de vidéos
YouTube, on ne se sent pas bien ; alors que là… Tout ce à quoi on accède après une
répétition d’efforts et d’échecs déclenche une satisfaction particulière, fondée sur la
production d’endorphine, et pas de dopamine. C’est comme d’avoir goûté un bon Bordeaux,
on ne va pas avoir envie de se saouler avec de la piquette !


PP : Il faut agir tôt ? Est-ce qu’on s’en sort, si on n’a pas réussi à restaurer sa capacité d’attention ?


AdP : Je suis fondamentalement optimiste. Mais, plus on s’y prend tard, plus c’est
douloureux. J’ai vu des jeunes décrocher complètement avant de pouvoir reprendre le
chemin d’études sélectives. L’attention ça s’apprend, mais il faut leur dire qu’ils vont en
baver pour retrouver une belle capacité de concentration. Le manque d’attention est
davantage toléré aujourd’hui, parce que l’environnement est inattentif. En entreprise, l’Open-Space généralisé contribue à fragiliser l’attention.

PP : Pour beaucoup d’enfants, leur faible capacité d’attention se révèle en classe ; la perte d’attention généralisée aboutit en outre à une dégradation globale de l’environnement scolaire, moins propice à l’attention qu’avant. Vous préconisez une prise en charge individuelle, est-ce que cela peut être efficace ?


AdP : Il faut bien commencer quelque part ! À l’Éducation nationale, une réflexion sur le
sujet est développée, autour en particulier de Stanislas Dehaene ; il y a une prise de
conscience, mais, pour l’instant, ce qui manque, c’est une volonté d’aider les professeurs.
Aux Etats-Unis, en revanche, l’approche est plus pragmatique, et j’ai vu qu’on a mis en
place des expériences intéressantes.

En France, je ne pense pas qu’on puisse agir sur l’Éducation nationale. Je n’ai pas entendu
parler d’écoles qui développent une approche spécifique non plus. Je note que dans les
écoles privées catholiques, il y a quand même une discipline, cela aide.


PP : Vous pensez qu’il y a des choses à changer dans le système scolaire ?


AdP : L’école devrait être un sanctuaire de l’attention, le lieu de vie qui permet de la
déployer. Simone Weil le disait déjà en 1942 : « Bien qu’aujourd’hui on semble l’ignorer, la
formation de la faculté d’attention est le but véritable et presque l’unique intérêt des
études… ». Il faudrait concevoir des programmes qui tiennent mieux compte de l’attention.
Eviter le jargon, le langage trop abstrait ou conceptuel par exemple… Il y a une immense
marge de manœuvre ! Remettre de la chronologie, des personnages en Histoire. Les dates,
les lieux, c’est essentiel. Lire et faire lire en classe, pour donner envie de lire à la maison.
Les aider à comprendre ce qu’ils lisent en expliquant le contexte, en proposant de la
littérature contemporaine aussi.
Il faudrait aussi proposer de l’aide concrète aux professeurs pour qu’ils parviennent à
contrôler l’attention de leur classe.

Dernier ouvrage d’Anne de Pomereu : À la reconquête de l’attention, Lattès, août 2021.


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